Les filles sauvages by Pat Murphy

Auteur:Pat Murphy [Murphy, Pat]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Jeunesse
Éditeur: Bayard Jeunesse
Publié: 2019-10-25T04:00:00+00:00

11

Le cirque Méli-Mélo

«Qu’est-ce que tu as raconté, toi ?» demandai-je à Renarde, le lendemain. Je n’avais pas encore commencé à rédiger mon devoir et il ne me restait qu’une journée pour le faire.

Elle avait l’air mal à l’aise. «J’ai choisi la peur de parler devant des gens », répondit-elle, un peu honteuse.

J’opinai lentement de la tête. Je savais qu’elle n’aimait pas ça. Il y avait certaines choses qui ne lui faisaient absolument pas peur, comme prendre un serpent dans ses mains ou marcher dans un tunnel obscur. Mais devant les gens, elle perdait ses moyens.

«Pourtant, tu n’as pas eu de mal à lire notre histoire, dis-je.

— C’est grâce à nos peintures de guerre, déclara-t-elle. Ce n’était pas vraiment moi. J’étais comme cachée derrière un masque. »

Je comprenais. Je comprenais d’autant mieux que j’avais eu le même sentiment. Les traits de rouge à lèvres nous avaient transformées en filles sauvages, et les filles sauvages n’ont peur de rien.

«Et toi, qu’est-ce que tu as trouvé ? m’interrogea-t-elle à son tour.

— Je ne sais pas encore. Je sèche. J’ai essayé d’écrire à propos de cette idée de parler à mon père, parce que ça, ça me fait vraiment peur. Mais j’ai l’impression que ce n’est pas ce genre de peur qu’on nous demande de décrire.

— Moi aussi je trouvais ça ridicule de raconter que j’ai peur de parler devant une foule de gens, fit Renarde, mais c’est un truc qui m’a vraiment effrayée. Qu’est-ce qui te fait vraiment peur, à toi ? »

Je reconnus cette question. C’était une de celles que Verla avait écrites au tableau. « Si je le savais, je serais capable d’écrire un texte dessus», répliquai-je, un peu agacée.

«Si tu ne connais pas la réponse, tu n’as qu’à l’inventer», suggéra-t-elle. Encore un conseil de Verla.

«Bon, alors disons… les araignées.» Effectivement, voir une araignée me donnait la chair de poule.

« Pourquoi ?

— Parce qu’elles ont trop de pattes.

— Quoi d’autre ?

— Les monstres.

— Quel genre de monstres ?

— Ceux qui ont plein de dents pointues.

— Et quoi d’autre ?» J’avais l’impression qu’elle allait continuer éternellement à me poser cette question.

«Entendre mes parents se disputer, dis-je.

— Ah oui ? Pourquoi ça te fait peur ? »

Je me mordis les lèvres : j’en avais trop dit. Entendre mes parents se disputer me donnait des crampes d’estomac et une irrésistible envie d’aller me réfugier dans ma chambre. C’était une chose qui me faisait vraiment peur. Je ne savais pas exactement pourquoi. Mais là, je pouvais toujours inventer. « Parce que dans ces moments-là, mon père devient un de ces monstres tapis dans la penderie, avouai-je. Ceux qui ont de grandes dents. »

Renarde se redressa, dans le fauteuil. Elle souriait. «Ça, ça fait sacrément peur», commenta-t-elle.

J’acquiesçai d’un lent mouvement de tête. «Je me souviens avoir entendu ma mère lui lancer : “Si tu continues, tu vas m’arracher la tête d’un coup de dents.”

— Un monstre avec des dents pointues et une énorme gueule», commenta Renarde.

Lors de la deuxième séance du stage, Verla ramassa nos devoirs.

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